Au fil de l’amour


Saïane est une splendide princesse orientale, une artiste qui se dessine de somptueuses tenues. Jusque là, Li Ang, son couturier attitré les lui créait, les lui cousait. Il meurt. On choisit le jeune Miral pour le remplacer auprès de la princesse. Mais il lui faudra travailler la tête dans une cagoule car il est interdit de regarder la princesse. Saïane et Miral s’entendent à merveille. Jusqu’au jour où la princesse décide de partir à la recherche d’un mystérieux tissu de papillon, au pays des maîtres tailleurs.
Cette histoire a les atours d’un conte classique et ne l’est pas vraiment.
On pousse une lourde porte en bois, un fin voilage délicatement parfumé caresse notre visage. Voilà, on est dans le livre. On entre dans un univers aux parures très orientales, chaleureux et délicat : minarets, portes en forme d’ogives, grandes tentures, vastes étoles, couleurs chaudes et enchanteresses. Les yeux et le cœur sont bien au chaud. On pourrait presque sentir des odeurs à la fois lourdes et légères. On est loin, dans un recoin très éloigné de notre imaginaire. Les illustrations de Judith Gueyfier sont un mélange de densité et d’extrême finesse, comme impeccablement ciselées dans du papier de soi. La langue de Franck Prévot rend cette histoire presque insaisissable : dans une lointaine et inconnue contrée, les prénoms des personnages évoquent des cultures différentes, les savoirs semblent immémoriaux, à l’intérieur même de l’histoire, une légende nous est contée et la fuite de la princesse Saïane est surréaliste. Ce monde est imperturbable, la princesse est un joyau, sortant de son écrin une fois l’an, traditionnellement. Un événement vient pourtant bouleverser cet ordre établi : la princesse décide de partir, à la recherche de sa chimère.
Cette histoire est belle. Très belle. Cependant, il manque ce « petit truc » qui rend une histoire vraiment magique : les mots inconnus, les phrases au rythme un peu cassé, comme si l’auteur ne se permettait pas de faire vraiment décoller le texte. C’est peut-être pour contrebalancer les ruptures formelles du conte traditionnel. Il reste du coup une sensation d’inaboutissement. Inaboutissement également dans la mise en page : on est dans un entre-deux, on aimerait le voir ailleurs le texte, réellement mis en scène dans les pages.
La force de l’histoire, tout de même : elle offre une vision assez moderne du conte de fée. Miral est certes conforme à ce que la société attend de lui, il est humble et se plie aux us et coutumes, mais il n’est pas naïf, il a conscience de son talent et n’accepte pas tout par amour. Il a ses limites. Saïane n’est pas une princesse contemplative et naïve elle non plus et elle a besoin de vivre, de savoir qui elle est avant de pouvoir aimer et remplir ses fonctions. De quoi, tout de même faire rêver en changeant un peu les modèles et fonctions traditionnels donnés aux garçons et aux filles.

Lisa



  • Auteur : Franck Prévot
  • Illustrateur : Judith Gueyfier
  • Éditeur : Le buveur d’encre
  • Parution : octobre 2012
  • Prix : 16 €

  • Âge : Grands
  • Genre : Album / Conte
  • Médias :
  • Thématique : Amour