Cour des miracles


ça raconte quoi ?

C’est l’histoire d’un homme sérieux et très élégant. Sourire au bec, il s’apprête à entrer dans la Cour des miracles. Ou bien est-il irrésistiblement attiré par cet endroit ? Il tombe sur des cupidons marrons. Et alors, "Pourquoi pas ?" "Eh oui, tiens, pourquoi pas ?"

C’est parti pour une drôle de promenade, dans un quartier sans fantaisie apparente au cours de laquelle Charlie Chaplin va rencontrer des personnages tous très sérieusement vêtus, mais bien farfelus ! Tout tourneboulé et fort interloqué il en ressort... Vraiment ? Il est ressorti ?

Ok, et comment c’est raconté ?

Derrière une sobriété toute apparente, il y a un sérieux tout relatif et finalement, on y découvre une folle fantaisie. Il suffit de se laisser emporter et d’accepter l’absence de logique, la surprise et le surgissement de personnages, de références qui nous disent un petit quelque chose, sans toujours mettre le mot dessus (ahh, je l’ai sur le bout de la langue !) : vous savez, ces émotions ou ces idées familières qui sont dans l’imaginaire collectif ? Ces petites choses qui viennent nourrir notre quotidien ? Eh bien, on y est.

On entre dans la cour des miracles, "merveilleux" endroit, temple de la transformation et des illusions, lieu où s’exprime la malice ! Lieu où l’on ne peut pas se fier aux apparences.

Et on entre chez Magritte, peintre surréaliste belge, donc bien barré quand même. Il interroge particulièrement notre perception du réel. C’est l’homme qui a peint, entre autres, le tableau "Ceci n’est pas une pipe", que vous pouvez voir, juste à côté, là, à gauche.

Dans ce livre-là, dans le texte et les images, il y a un vrai jeu sur les apparences. On ne peut pas vraiment se fier à grand chose. Les personnages qu’on croit reconnaître nous filent entre les doigts : sitôt reconnus ils se transforment, ne correspondent finalement pas à ce qu’on attendait d’eux. On navigue sans arrêt entre mythologie, peinture, art populaire et vieilles réclames. Et puis chacun peut en plus y aller de son interprétation.

C’est très subtilement que Jean-François Martin nous fait visuellement passer d’un personnage à un autre. Un petit point de détail, un trait qui semble être une moustache sur une page et une ombre sur une autre, faisant ainsi passer l’élégant personnage de Charlie Chaplin à un gendarme anglais, ou le cyclope à Tintin, juste avec un oiseau sur la tête. Si si !
C’est aussi très simplement, sans qu’on s’en rende vraiment compte qu’Henri Meunier nous mène en bateau avec ses mots, au ton et rythme de lecture particulier qui nous fait hésiter entre la prose et la poésie classique. Il mêle d’apparentes et de vraies savantes références, des mots du langage populaire et soutenus, nous laissant entrevoir des situations qui font parfaitement sens ou non-sens (oui, un peu à la manière des comptines traditionnelles). Henri Meunier a une manière d’écrire délicieuse, qui laisse exister les émotions très personnelles.

Finalement

On a dans les yeux et dans la bouche, dans les oreilles un goût de connu et d’inconnu. Ces deux hommes-là ont magnifiquement allié leurs univers en trompe-l’œil, ça tombe sous le sens, ou le non-sens. Et c’est une réjouissante invitation à accueillir avec bonheur ce qui se passe là, maintenant, sans idées préconçues, à déconstruire notre réalité.

Et les enfants, me direz-vous, cher adulte, que vont-ils donc y comprendre ? Mais bien plus que nous cher vous ! Ils vont très simplement se laisser attraper par cette petite histoire cocasse, à la manière des bouts de scénarios qu’ils sont capables de s’inventer. Parce que leur réalité est beaucoup moins sclérosée que la nôtre.

Quelques tuyaux [1]

Qu’est-ce que tu dis ? Tiens, y’a un cyclope, ah, non, c’est Tintin...Arsène Lupin ? Mais arrête de parler, regarde-donc !

Lisa Bienvenu



  • Auteur : Henri Meunier et Jean-François Martin
  • Illustrateur : Jean-François Martin
  • Éditeur : Rouergue
  • Parution : Octobre 2014
  • Prix : 15 €

  • Âge : Moyens / Grands / Tout public / Ados/Adultes
  • Genre : Album
  • Médias :
  • Thématique : Art / Bonheur / Différence / Humour / Identité

[1Quelques tuyaux

A propos de Jean-François Martin et aussi La Belle illustration, merveille de merveille !
Le site d’Henri Meunier
Le site du musée Magritte à Bruxelles

L’image du tableau "Ceci n’est pas une pipe" nous parle de "trahison des images", de l’idée que ce qu’on voit n’est pas l’objet mais une représentation, on ne peut en effet pas fumer dans une pipe de tableau.
L’oeuvre de Magritte est très présente dans notre quotidien contemporain, notamment dans la publicité, lieu d’expression des apparences et des faux-semblants par excellence. Allez-voir , c’est intéressant.
Et puis, Magritte lui-même a fait de la pub et on la retrouve dans une image du livre. ça m’a plu de trouver ça alors je partage !