Buffalo Belle, Heu-reux ! Je suis qui je suis


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Buffalo Belle
©Olivier Douzou, Rouergue

C’est l’histoire d’une enfant qui grandit.

C’est très curieux… un livre tout ce qu’il y a de plus classique, vu d’extérieur.

Quand on l’ouvre, c’est le portrait dessiné d’un tout petit enfant, de dos, qu’on découvre. Rondeur des joues et du dos, épaules légèrement tombantes : 18 mois ? 2 ans ? Un âge où le tout petit s’ouvre et découvre le monde, où il s’affirme très fortement en voulant être le centre du monde, mais d’abord le sien. Un âge où nous adultes, trouvons bien souvent ces enfants adorables, sans nous préoccuper de savoir si c’est un garçon ou une fille. C’est un bébé (Buffalo Belle, initiales BB...)

On est d’abord submergé par un sentiment de tendresse.
Et puis on est troublé.

Visuellement le texte est déstabilisant, il n’y aucun signe de ponctuation donc pas de repères de compréhension. Pour ajouter à la confusion, les syllabes "elle" et "il" sont inversées, elles se détachent graphiquement de l’ensemble du texte, imprimées en caractère gras. Quand on passe rapidement les pages du livre, on ne voit qu’elles. Elles se répètent inlassablement, comme si ce petit enfant cherchait qui il était.
Le texte (par le titre) prend aussi racine dans l’univers du western, genre par excellence dans lequel tout est toujours stéréotypé et violent, tout y est à première vue facilement identifiable. Donc facile à détourner, puisque tout le monde en connaît les codes. Facile également de tracer des chemins de traverse, d’inventer.

Les pages d’un livre ouvert appellent bien souvent l’image du papillon (voir, entre autres, le logo de l’école des loisirs). Le petit enfant dessiné au début du livre est recroquevillé, à la fois mou, tendre et malléable, comme la chenille, vers la fin du livre, c’est un portrait toujours de dos, mais bras grands ouverts qui lui répond, comme un papillon. Le symbole autour de la transformation et de la liberté est évidemment très fort.

C’est un livre d’une confondante simplicité : codes graphiques et littéraires, vision que l’on a de l’enfance, livre comme objet, tout y est utilisé de manière purement essentielle pour exprimer la confusion des sentiments, la difficulté à trouver sa voie, son identité profonde. Et c’est résolument poétique et optimiste, à la croisée de tous les genres.

Un nouveau genre est-il né ?

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Heur-reux !
©Christian Voltz, Rouergue

Raconte l’histoire de Grobull, taureau-tyran, roi des pâturages, qui doit marier son fils unique : le Prince Jean-Georges. Des prétendantes toutes plus belles les unes que les autres défilent devant le Prince, rien n’y fait, elles sont toutes renvoyées dans leurs pénates. C’est si contrariant pour le taureau-tyran qu’il finit par tout accepter à force d’avoir tout essayé : il se doit de répondre à l’injonction faite à son fils d’être Heu-reux ! Il a en fait été pris à son propre piège…. Pour le plus grand bonheur final de son descendant !
Dans l’univers de bric et de broc de Christian Voltz, tout est possible, toujours, entre profondeur et légèreté, la preuve.
Un taureau-tyran, c’est fort et impressionnant, un taureau va droit au but, il fonce, sans trop de sensibilité et d’attention à l’entourage. Dans cette histoire, Grobull, le roi est finalement extrêmement touchant, il est peut-être contraint et forcé d’accepter son fils tel qu’il est, mais, au nom du bonheur qu’il veut pour son fils, il a transformé son regard. Vision de la vie plutôt optimiste aussi !

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Je suis qui je suis
©Catherine Grive, Rouergue

Raconte l’histoire de Raph’, ado… un âge évidemment fort délicat où le regard que l’on porte sur soi n’est pas toujours glorieux ; un âge où l’on est aussi extrêmement sensible au regard que les autres portent sur nous ; un âge où pouvoir identifier et comprendre l’autre grâce à son apparence en un clin d’œil est essentiel.
Evidemment, Raph’ ne correspond à aucun stéréotype et pourtant, comme tout ado, Raph’ porte très rapidement un jugement à partir de l’apparence des autres. Cette fille-là n’est pas son genre, et pourtant…
Catherine Grive joue malicieusement avec les pronoms de genres pour semer la confusion dans nos esprits : Raph’ est un garçon ? une fille ? Très adroitement, comme elle met en scène un personnage de jeune ado, elle évoque délicatement le genre, fille ou garçon, en cultivant précieusement le doute sur les questions d’orientation sexuelle.
Elle parle d’amour et d’amitié, de reconnaissance, de vie secrète et intime.

Engagement artistique

Ces trois livres sont sortis en même temps aux éditions du Rouergue. Trois auteurs ont répondu chacun à leur manière à la confusion ambiante de notre monde qui se crispe littéralement sur le genre en général : homosexualité, « théorie du genre » qui vient des « gender studies » , un champ d’études universitaires venu des Etats-Unis qui vise à étudier la manière dont la société associe des rôles à chaque sexe, sexualité, identité…société...
Olivier Douzou, Catherine Grive et Christian Voltz ont choisi de témoigner, d’exprimer leur sentiment sur ces questions autour du genre, dans leur genre artistique, en utilisant leurs outils, leurs « armes » pour témoigner, apaiser, proposer, faire écho en chacun de nous.
Les éditions du Rouergue ont choisi de publier ensemble ces 3 livres. Un album-poème graphique, un album, un roman : 3 genres différents.

Voilà une belle illustration de l’engagement artistique dans les questions de société, ni plus ni moins.

Et j’ajoute : la littérature doit cultiver le doute et l’ambiguïté d’interprétation pour que chacun y trouve sa voie. Nous en avons un besoin essentiel, aujourd’hui où tout est noir ou blanc pour ou contre, bien ou mal.

Lisa Bienvenu

la chronique sur Radio Royans



  • Auteur : Olivier Douzou, Christian Voltz, Catherine Grive
  • Éditeur : Rouergue
  • Parution : mars 2016
  • Prix : 12€, 13,50€ et 9,20€

  • Âge :
  • Genre :
  • Médias :
  • Thématique : genre / homosexualité / Identité / Liberté