Le grand voyage de Mademoiselle Prudence

Prudence est une petite fille comme beaucoup d’autres. Aux préoccupations matérielles et aux recommandations de sa mère qui crie à l’autre bout de la maison (“Mets tes chaussures noires“, “Dépêche-toi !“, “Enfin, où sont tes chaussures ?“), elle préfère, de beaucoup, la rêverie. Alors, lorsqu’au moment du départ, la voix maternelle se fait impérative, voire étouffante, Prudence part dans des mondes colorés et doux, silencieux et foisonnants, des mondes qui n’appartiennent qu’à elle. Et elle sait, quand vient le temps, s’abstraire tranquillement de ses voyages imaginaires pour revenir à la réalité, mais sans chaussures aux pieds…

Charlotte Gastaut nous offre ici un album d’une grande maîtrise graphique. Traversant jungle, forêt, mer et ciel, cette petite fille espiègle et malicieuse se livre à un voyage exaltant et surprenant où personnages extraordinaires et décors hallucinants sont à chaque fois source d’émerveillement. Non seulement superbe, ce très bel album est aussi d’une grande cohérence dans sa conception. Charlotte Gastaut a vraiment pensé ce livre comme un tout et est parvenue à créer une véritable harmonie entre texte, illustration et support. Choix du format (grand album à la française), utilisation de la typographie (envahissante, presque illisible), découpes du papier mettant en valeur un élément du décor ou se transformant en passages secrets pour aller d’un monde à un autre, utilisation de papier calque pour le voyage aquatique, choix des couleurs, progression des illustrations, très “sages“ et épurées au début, elles deviennent de plus en plus foisonnantes au fil de la rêverie de Prudence, recouvrent l’intégralité des doubles pages avec une infinité de détails et de motifs puis s’assagissent quand la petite fille revient à la réalité. L’oiseau rose fluo est un fil conducteur que les enfants prendront plaisir à retrouver de page en page, jolie métaphore de la liberté donnée par l’imaginaire. Cet album illustre aussi l’opposition de deux mondes : celui des adultes et des contingences matérielles et celui des enfants, et pourra être support de discussion. C’est aussi, évidemment, une invitation à la contemplation et à la rêverie, une ode à l’enfance. Eblouissant !

Eve